Que sont les lentilles gravitationnelles? Science
En optique, une lentille désigne un morceau de verre concave ou convexe faisant converger ou diverger un faisceau de rayons lumineux qui le traverse. L'atmosphère terrestre possède, elle aussi, le pouvoir d'incurver les trajectoires des rayons lumineux grâce à ses couches d'air de températures différentes: le disque du soleil déformé lorsqu'il s'approche de l'horizon ainsi que les mirages dans le désert en sont deux exemples classiques.
Toute masse située dans l'univers perturbe, par son pouvoir d'attraction gravitationnelle, la trajectoire de toute autre masse voyageant dans son voisinage. Les particules de lumière, bien que très peu massives, n'en subissent pas moins les effets de l'attraction de toute masse importante qu'elles effleurent: leurs chemins lumineux s'en trouvent incurvés. Isaac Newton, en 1704, fut le premier à suspecter une telle influence de la gravitation sur la lumière. Albert Einstein, en 1916, étudia le phénomène dans le cadre de la relativité générale. La perturbation n'est mesurable que dans le cas de très grandes masses et le phénomène, par analogie avec l'optique, porte le nom de lentille gravitationnelle.
Le premier cas observé de lentille gravitationnelle implique le soleil, lequel, avec sa masse de 2*1033 grammes (2 millions de milliards de milliards de milliards de grammes), influence le chemin lumineux des particules de lumière émises par les étoiles observées juste derrière lui. Comme le soleil n'occupe pas toujours la même place dans le ciel, la comparaison, dans une portion de ciel, des positions relatives des étoiles en l'absence et en la présence du soleil, dévoile l'importance du phénomène. Pour les étoiles proches du limbe solaire (le bord du soleil), l'effet prédit par la relativité générale est deux fois plus grand que celui prédit par la gravitation de Newton. Si l'observation d'une portion de ciel en l'absence du soleil ne nécessite qu'une belle nuit étoilée, l'observation de la même portion de ciel avec la présence perturbatrice du soleil ne peut s'effectuer que dans de rares conditions: une éclipse totale de soleil. La lumière de ce dernier, alors caché par la lune, ne gêne plus l'observation des étoiles. Arthur Eddington profita, en 1919, d'une éclipse totale de soleil pour mener à bien de telles observations, qui lui permirent d'annoncer la première observation du phénomène de lentille gravitationnelle, dont l'intensité confirmait les prédictions d'Einstein au détriment de celles de Newton. Ce fut le début de la gloire pour Einstein!
Evidemment, d'autres étoiles que le soleil peuvent jouer le rôle de lentille gravitationnelle, mais leur distance à la terre dépasse tellement celle du soleil à la terre que les angles de déflection des rayons lumineux sont trop petits pour être observables. Il faut donc considérer des masses plus grandes, c'est-à-dire des lentilles gravitationnelles plus puissantes, comme par exemple une galaxie, dont la masse s'élève typiquement à deux cents milliards de fois la masse du soleil. Durant plusieurs décennies, la compréhension théorique du phénomène de lentille gravitationnelle progressa de façon importante, contrebalançant un pessimisme général quant aux possibilités de nouvelles observations impliquant d'autres lentilles que le soleil.
La seconde lentille gravitationnelle fut accueillie avec scepticisme lors de sa découverte en 1979 seulement, 60 ans après la première. Elle met en scène une galaxie, jouant le rôle de lentille, laquelle perturbe la lumière provenant d'un objet très éloigné et très lumineux: un quasar, noyau très lumineux d'une galaxie dont la lumière observée fut émise il y a plus de 10 milliards d'années, c'est-à-dire à peine deux ou trois milliards d'années après le big-bang. Lorsque l'alignement entre le quasar (la source), la galaxie (la lentille) et l'observateur est parfait, la lumière du quasar forme un anneau autour de la lentille. Généralement, à cause d'un très léger mésalignement, l'anneau se scinde en plusieurs composantes, le quasar n'apparaissant plus comme une seule et unique source ponctuelle, mais décomposé en plusieurs images ponctuelles (typiquement entre deux et cinq), avec parfois un arc, simple portion de l'anneau.
On a observé aujourd'hui plusieurs dizaines d'exemples de ce phénomène, dans lesquels le rôle de la lentille est joué par une galaxie isolée, par un groupe ou amas de galaxies, voire par des amas d'amas de galaxies! En l'espace de 20 ans, le phénomène de lentille gravitationnelle a donné naissance à un des champs de recherche parmi les plus actifs de l'astrophysique. En plus de sa compréhension physique, ce phénomène fascinant offre les possibilités nouvelles (1) de déterminer directement la masse de la lentille, (2) d'étudier la fraction de matière sombre contenue dans les galaxies et amas de galaxies, (3) de cartographier la répartition à grande échelle de cette matière sombre, (4) d'estimer la densité moyenne de matière dans l'univers, et (5) même de déterminer l'âge de l'univers!
_Dr Rezo