Glossaire des procédures participatives (1/3)

Nous décrivons ici quelques procédures développées depuis les années 1980 pour tenter de démocratiser les choix scientifiques et techniques, principalement dans les pays du Nord. Ce glossaire comprend trois parties:

A. le modèle de base de la conférence de citoyens (Danemark, France, Suisse) (ce document)
B. les autres procédures participatives, par ordre alphabétique
C. deux exemples de jurys citoyens dans les pays du Sud (Inde, Mali).

A. Le modèle de base

Image | Conférence citoyenne (c) 2003 VivantinfoInventé au Danemark en 1987, ce modèle de référence a été baptisé de différentes manières selon les pays, mais son mode de fonctionnement est toujours le même à quelques nuances près (nombre de participants plus élevé en Suisse pour tenir compte de la pluralité linguistique). 

1. Conférence de consensus

Au Danemark, le Danish Board of Technology (DBT) a été fondé en 1985. Selon Lars Klüver, directeur actuel du DBT, le Parlement danois souhaitait alors se démarquer du modèle américain dans le domaine de l’évaluation des choix technologiques. L’un des objectifs du DBT était de réduire le décalage entre les experts, les responsables politiques et la population générale. Il s’agissait donc de concevoir des méthodes à même de prendre en compte les préoccupations, l’expérience quotidienne et les visions des citoyens, en même temps que les compétences des experts, tout en tenant compte des contraintes propres aux politiques.

En 1987, le DBT invente le modèle des conférences de consensus. En réalité, il s’agit de l’adaptation du modèle bien connu de la conférence médicale de consensus, pratiquée notamment aux USA et en France: des groupes d’experts médicaux s’attachent à définir par consensus la bonne utilisation de nouvelles thérapeutiques ou de nouveaux médicaments. Ces experts donnent des recommandations destinées à être reprises par l’ensemble de la profession pour le bon usage d’une innovation médicale.

S’agissant plus largement d’innovations scientifiques et technologiques, la conférence de consensus danoise se distingue du modèle médical en attribuant un rôle central à un panel d’une quinzaine de «citoyens ordinaires» («lay people») auxquels sont délégués le choix des thèmes de la conférence, le choix des experts et la préparation des conclusions et des recommandations. Dans l’expérience danoise, les citoyens profanes sont recrutés sur la base d’un appel à volontariat, suivi d’un tirage au sort, à la manière d’un jury d’assises.

Depuis leur création en 1987, les conférences de consensus sont régulièrement utilisées au Danemark (une ou deux conférences par an en moyenne). Le modèle s’exporte bien puisque seize pays différents l’ont utilisé au moins une fois.

2. Conférence de citoyens

Le terme de «conférence de citoyens» est la version française de la «conférence de consensus» danoise (voir ci-dessus).

De manière générale, une conférence de citoyens est organisée à l’initiative d’organismes parlementaires ou d’organismes travaillant auprès d’un Parlement. La procédure est une commande du politique qui en attend une information sur la manière de légiférer ou de décider.

Dans l’expérience française, le groupe de citoyens est recruté par l’intermédiaire d’un institut de sondage, avec des critères stricts pour la composition du panel (représentation équitable des régions, des sexes, des classes d’âge, des appartenances socioprofessionnelles). Tel fut le cas par exemple pour la conférence de citoyens sur le réchauffement climatique, organisée en 2001-2002 par la Cité des Sciences et de l’Industrie de la Villette à Paris.

Les conférences de citoyens se déroulent en trois temps:

  1. lors de réunions préparatoires le groupe de citoyens définit les questions clés qu’il souhaite aborder;
  2. au cours de réunions publiques le groupe interroge des personnalités d’opinions diverses, représentatives de différents groupes d’intérêts, scientifiques, experts, entrepreneurs, etc.;
  3. le groupe rédige enfin un rapport contenant des recommandations, qui est remis aux instances politiques.

Pour les personnes concernées, la participation à une conférence de citoyens est un passionnant enrichissement, permettant de dépasser la superficialité de l’information quotidienne pour se confronter à la complexité des dossiers. Mais la procédure peut aussi engendrer frustrations et déceptions, car rien n’oblige les instances politiques à suivre les recommandations du panel. La forme de démocratie participative qu’incarne une conférence de citoyens ne se substitue en effet pas à la démocratie représentative.

La procédure, assez lourde, implique une organisation rigoureuse, et certains la jugent relativement coûteuse : entre 100'000 et 150'000 euros pour un an de travail, selon Roland Schaer, directeur de la Cité des Sciences. Ceci explique peut-être que peu de conférences de citoyens aient été jusqu’ici organisées en France. Citons notamment: 

  • en 1998 sur les OGM, organisé par l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et techniques;
  • en 2001 sur l’ESB (vache folle), organisé par la Cité des Sciences;
  • en 2002 sur le réchauffement climatique, organisé par la Cité des Sciences.

Pour en savoir plus

  • Les conférences de citoyens: l’agora du XXIe siècle? par Roland Schaer;
  • Site de l’OPECST (Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques);
  • «Conférence de citoyens, mode d'emploi» par D. Bourg et D. Boy, éditions Charles Léopold Mayer, 2005;
  • «Un exemple de démocratie participative: ‹la conférence de citoyens› sur les organismes génétiquement modifiés» par D. Boy, D. Donnet-Kamel et Roqueplo, in Revue française de Sciences politiques, no. 50, 2000.

3. PubliForum

Image | Sciences & démocratie | PubliforumVersion suisse des conférences de citoyens, les PubliForums sont des plateformes établies pour promouvoir le dialogue entre la science et l'homme de la rue. Une trentaine de volontaires – femmes et hommes, jeunes et vieux, exerçant diverses activités et venant de toutes les parties du pays – sont réunis pour constituer un groupe de citoyens qui examine du point de vue du profane la désirabilité d'une technologie, tel le génie génétique dans l'alimentation ou les recherches médicales impliquant des êtres humains. 

Ces citoyens ont tout d'abord deux week-ends de préparation pour apprendre à se connaître. Ces journées leur servent aussi à étudier l'information remise par les organisateurs et à s'entendre sur les questions à poser à une vingtaine d'experts, qu'ils choisissent eux-mêmes sur la liste de tous ceux qui se sont mis à disposition.

Le PubliForum proprement dit dure généralement quatre jours. Durant les deux premiers, les spécialistes et les représentants des citoyens se rencontrent pour examiner les questions posées. Ces auditions sont également ouvertes au public intéressé.

À la fin des discussions, les membres du panel se retirent et établissent, sur la base des informations et des réponses reçues, un rapport qui est présenté publiquement le quatrième jour. Ce document expose la problématique du point de vue du groupe et contient des recommandations de traitement à l'intention des décideurs de la politique, de la science, de l'économie ou de l'administration.

Les PubliForums se prêtent particulièrement bien à des discussions de fond d'intérêt national. Ils demandent aux citoyens un investissement en temps assez important : rencontres préparatoires comprises, un PubliForum requiert environ une semaine de présence effective.

Pour en savoir plus

  • www.publiforum.ch

Exemples

de PubliForums organisés par le Centre d’évaluation des choix technologiques TA SWISS:

  • Génie génétique et alimentation (PDF 277Ko), 1999
  • Médecine des transplantations (PDF 483Ko), 2001
  • Recherches impliquant des êtres humains (PDF 800Ko), 2004 

4. Publifocus

Connu dans d’autres pays sous le nom de «focus group», le Publifocus, variante allégée du PubliForum, fait partie des méthodes participatives développées en Suisse par le Centre d'évaluation des choix technologiques TA-SWISS. Son but est de mieux intégrer, à un stade précoce, des citoyennes et citoyens dans le processus de décision politique en matière de technologie, en fournissant aux autorités et au Parlement un instantané de l’éventail des opinions et des argumentaires sur un sujet donné.

En pratique, un publifocus consiste en une série de tables rondes d’une durée de quelques heures seulement, ce qui demande aux participants un investissement en temps nettement moindre que le PubliForum.

Les apports du publifocus sont d’ordre qualitatif, les plus caractéristiques étant des argumentations bien développées et la mise en lumière des contradictions et des ambivalences au travers des interventions individuelles. Le publifocus permet aussi de distinguer les faits qui se heurtent à l’incompréhension ou qui suscitent des malentendus. Il est donc possible de se faire, par cette méthode, une idée de la multiplicité et de la diversité des opinions et conceptions qui existent dans la population relativement à un sujet donné.

En revanche, la méthode ne permet guère d’obtenir des données quantitatives probantes. Pour préserver la dynamique des échanges entre les participants, il est en effet nécessaire de limiter leur nombre à quinze au maximum par table ronde. Cette contrainte ne permet pas au publifocus de satisfaire aux conditions de toute évaluation quantitative significative ou conclusion représentative.

Pour en savoir plus

  • Publifocus sur les cellules souches embryonnaires (PDF 101Ko)
  • Publifocus sur les nanotechnologies (PDF 838Ko)